Temps de lecture estimé :min
Cette année, les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) générées par toutes les activités humaines seront restées à des niveaux record, selon une nouvelle analyse du Global Carbon Project, un organisme réunissant des scientifiques du monde entier.
Chaque année, au sein du Global Carbon Project, nous calculons le « bilan carbone » de la Terre, c’est-à-dire la quantité de CO2 que les humains ont rejetée ainsi que la quantité qui a été « retirée » de l’atmosphère par les océans et les écosystèmes terrestres.
À partir de là, nous évaluons la quantité de carbone qui peut encore être émise dans l’atmosphère avant que la Terre ne dépasse le seuil crucial de réchauffement climatique de 1,5 °C.
Cette année, les émissions mondiales de CO2 générées par nos activités devraient atteindre 40,6 milliards de tonnes de CO2 ; ce qui nous laisse un « budget carbone restant » de 380 milliards de tonnes de CO2 pour limiter le réchauffement global à 1,5 °C.
Cette quantité d’émissions est désastreuse pour le climat : aux niveaux actuels, il y a 50 % de chances que la planète atteigne l’augmentation de la température moyenne mondiale de 1,5 °C en seulement neuf ans.
Si nous constatons des progrès significatifs vers la décarbonation et la réduction des émissions de certains secteurs et pays, en particulier dans l’électricité renouvelable, l’effort mondial global reste largement insuffisant.
Or l’humanité doit réduire de toute urgence ses émissions pour être en mesure d’éviter les impacts les plus catastrophiques du changement climatique.
Sur la base de données préliminaires, nous prévoyons que les émissions de CO2 provenant de l’utilisation du charbon, du gaz naturel, du pétrole et du ciment (on les appelle « émissions fossiles ») augmenteront de 1 % en 2022 par rapport aux niveaux de 2021, pour atteindre 36,6 milliards de tonnes.
Cela signifie que les émissions fossiles de 2022 atteindront à un niveau record, légèrement au-dessus des niveaux pré-pandémiques de 36,3 milliards de tonnes en 2019.
Mais il faut caractériser plus finement cette croissance de 1 % (soit environ 300 millions de tonnes) pour 2022 :
ce 1 % équivaut à ajouter 70 millions de voitures, comme on en voit rouler sur les routes du monde pendant un an ;
ce 1 % est supérieur à la croissance annuelle moyenne de 0,5 % de la dernière décennie (2012-2021) ;
mais il est inférieur à la croissance annuelle moyenne de 2,9 % au cours des années 2000 (qui était en grande partie due à la croissance économique rapide de la Chine) ; il est également inférieur à la croissance annuelle moyenne de 2,1 % des 60 dernières années.
Ainsi, en termes relatifs, on peut affirmer que la croissance mondiale des émissions de CO2 fossile est en train de ralentir.
En 2022, la croissance des émissions fossiles est en grande partie due à une utilisation accrue de pétrole et de charbon ; et, plus particulièrement, de pétrole, l’industrie aéronautique repartant fortement après la pandémie.
Les émissions de charbon ont également augmenté cette année en réponse à la hausse des prix du gaz naturel et aux pénuries d’approvisionnement de cette ressource. Dans un tel contexte, il est ainsi possible que les émissions de charbon soient cette année supérieures au pic historique de 2014.
Une autre source majeure d’émissions mondiales de CO2 concerne le changement d’affectation des terres – c’est-à-dire le flux net entre la déforestation et la reforestation. Nous prévoyons que 3,9 milliards de tonnes de CO2 seront rejetées au total cette année.
Il faut toutefois souligner que les incertitudes des données sont plus élevées pour les émissions liées au changement d’affectation des terres que pour les émissions de CO2 fossiles. Les émissions liées au changement d’affectation des terres étant estimées indirectement par des modèles de bookkeeping à partir de données par pays de changement des surfaces allouées aux cultures ou prairies.
Bien que les émissions liées au changement d’affectation des terres restent élevées, nous avons constaté une légère baisse au cours des deux dernières décennies, principalement en raison de l’augmentation du reboisement alors que les taux de déforestation restent relativement stables.
Ensemble, les combustibles fossiles et le changement d’affectation des terres sont responsables de 40,6 milliards de tonnes de CO2.
Cette année, les États-Unis et l’Inde sont responsables des plus fortes augmentations des émissions de CO2 fossiles.
Les émissions états-uniennes devraient augmenter de 1,5 %. Alors que les émissions de gaz naturel et de pétrole sont plus élevées, les émissions du charbon continuent sur une longue tendance à la baisse. Les émissions de CO2 fossiles de l’Inde devraient augmenter de 6 %, principalement en raison d’une augmentation de l’utilisation du charbon.
Pendant ce temps, les émissions de CO2 provenant de sources de combustibles fossiles en Chine et dans l’Union européenne devraient diminuer cette année de 0,9 % et 0,8 %, respectivement.
Le déclin de la Chine est principalement dû aux fermetures en masse à cause de la pandémie de Covid dans le pays, qui ont ralenti l’activité économique. Cela comprend un ralentissement marqué dans le secteur de la construction et la baisse de la production de ciment qui y est associée.
[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Sur le continent européen, l’invasion de l’Ukraine par la Russie devrait entraîner une baisse de 10 % des émissions de CO2 de l’Union européenne provenant du gaz naturel en 2022, en raison de pénuries d’approvisionnement. Cette pénurie a été partiellement remplacée par une plus grande consommation de charbon, entraînant une augmentation de 6,7 % des émissions européennes liées à cette énergie.
Le reste du monde représente 42 % des émissions mondiales de CO2 fossile (avec une hausse de 1,7 % par rapport à l’an passé).
Au niveau des émissions mondiales de CO2 dues au changement net d’affectation des terres, l’Indonésie, le Brésil et la République démocratique du Congo contribuent à 58 % des émissions globales.
L’océan et la terre agissent toujours comme des puits de CO2. L’océan absorbe le CO2 lorsqu’il se dissout dans l’eau de mer et en exporte une partie importante vers les grandes profondeurs. Sur terre, les plantes absorbent le CO2 et l’accumulent dans leurs troncs, branches, feuilles et sols.
Cela fait des puits océaniques et terrestres un élément crucial de la régulation du climat mondial. Nos données montrent qu’en moyenne, les puits terrestres et océaniques éliminent environ la moitié de toutes les émissions de CO2 des activités humaines, agissant comme une réduction de 50 % sur le changement climatique.
Malgré ces processus, la concentration de CO2 atmosphérique continue de grimper. En 2022, il atteindra une moyenne projetée de 417,2 parties par million. C’est 51 % au-dessus des niveaux préindustriels, et plus élevé qu’à n’importe quel moment au cours des 800 000 dernières années.
Si les puits de carbone sont toujours en croissance régulière à mesure que le CO2 s’accumule dans l’atmosphère, ces puits souffrent néanmoins déjà des conséquences du changement climatique (réchauffement global, augmentation des extrêmes climatiques et changements dans la circulation océanique) ; en conséquence de quoi, ils sont moins importants (de 17 % pour les puits terrestres et de 4 % pour les puits océaniques) que ce qu’ils auraient pu être en l’absence de changement climatique.
Répétons-le : des progrès significatifs ont été réalisés cette année dans le déploiement des énergies renouvelables, l’élaboration de politiques et les engagements des gouvernements et des entreprises envers de nouveaux objectifs d’atténuation du changement climatique plus ambitieux.
Mais nous devons de toute urgence atteindre zéro émission nette de CO2 pour maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C durant le XXIe siècle. Les émissions massives de nos activités pour 2022 soulignent la tâche monumentale qui nous attend.
Pep Canadell, Chief Research Scientist, Climate Science Centre, CSIRO Oceans and Atmosphere; Executive Director, Global Carbon Project, CSIRO; Corinne Le Quéré, Royal Society Research Professor of Climate Change Science, University of East Anglia; Glen Peters, Research Director, Center for International Climate and Environment Research - Oslo; Judith Hauck, Helmholtz Young Investigator group leader and deputy head of the Marine Biogeosciences section at the Alfred Wegener Institute, Universität Bremen; Julia Pongratz, Professor of Physical Geography and Land Use Systems, Department of Geography, Ludwig Maximilian University of Munich; Philippe Ciais, Directeur de recherche au Laboratoire des science du climat et de l’environnement, Institut Pierre-Simon Laplace, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA); Pierre Friedlingstein, Chair, Mathematical Modelling of Climate, University of Exeter; Robbie Andrew, Senior Researcher, Center for International Climate and Environment Research - Oslo et Rob Jackson, Professor, Department of Earth System Science, and Chair of the Global Carbon Project, Stanford University
Nous remercions les auteurs et The Conversation pour l'autorisation de republication.