Stimuler le cerveau pour mieux le comprendre

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Stimuler le cerveau pour mieux le comprendre

Laurie Galas, Université Paris Cité; Laetitia Grabot, Université Paris Cité et Laura Dugué, Université Paris Cité

Tout bon récit de science-fiction mêlant mythe et réalité sur le cerveau a déjà tenté de nous faire croire qu’il était possible de manipuler nos pensées, modifier nos souvenirs ou nous faire agir comme des marionnettes, grâce à toutes sortes de machines fantastiques. Mais qu’en est-il dans la vraie vie : est-il possible de modifier, ou autrement dit, de stimuler l’activité de notre cerveau ? En laboratoire, les chercheurs en neurosciences cognitives utilisent toute une panoplie de stimulations directes et indirectes pour changer l’activité de notre cerveau afin d’étudier son mode de fonctionnement.

Stimuler le cerveau, ça veut dire quoi ?

Le cerveau est constamment « stimulé » par les informations qui arrivent de nos organes sensoriels, comme la lumière captée par nos yeux. Par exemple, lorsque vous regardez un chien dans un parc, l’image de ce chien se forme dans votre œil sur la rétine. Les informations visuelles présentes sur la rétine sont ensuite transmises au cerveau via le nerf optique. La stimulation (visuelle ici) est donc indirecte. L’information passe par l’organe sensoriel de la vision, l’œil, qui modifie la stimulation avant qu’elle n’arrive au cerveau. En d’autres termes, la rétine va jouer un rôle dans ce que l’on va percevoir.

L’effet que pourraient avoir les organes sensoriels sur les stimulations peut nuire à l’expérimentation scientifique dans certains cas précis. C’est pourquoi les chercheurs en neurosciences cognitives utilisent des techniques qui permettent d’éviter ces effets. La stimulation magnétique transcrânienne (TMS), également utilisée pour le traitement de troubles neurologiques ou psychiatriques, permet d’agir directement sur nos neurones. Elle entraîne une modification temporaire de leur activité (le plus souvent quelques millisecondes) en produisant un champ magnétique localisé. Cette technique ne nécessite aucune chirurgie puisqu’elle consiste à positionner près de la tête un dispositif composé d’une bobine qui crée ce champ magnétique.

Lors d’une stimulation visuelle indirecte, l’information provenant de notre champ visuel va d’abord passer par l’organe sensoriel de la vision, l’œil. L’information visuelle pourra y subir des modifications, notamment au niveau de la rétine, avant d’être transférée à l’aire de la vision via le nerf optique. Lors d’une stimulation magnétique directe, c’est l’aire de la vision qui va directement être stimulée. Fourni par l'auteur

Si la TMS est appliquée sur l’arrière de votre crâne, au niveau de vos neurones visuels, elle va stimuler ces neurones et mimer leur activité naturelle, comme s’ils recevaient de la lumière en provenance de l’œil. Ainsi, vous serez par exemple capable de percevoir un flash lumineux, qui pourtant n’existe pas dans le monde extérieur. Ce flash illusoire, appelé phosphène, apparaît différemment d’une personne à l’autre. Certaines le décrivent comme un changement de texture, d’autres comme une tache blanche ou bien comme un ensemble de points blancs et noirs qui apparaissent localement dans le champ de vision. Le fait que la TMS ait une action directe sur nos neurones, précise dans le temps et localisée spatialement sans nécessiter aucune de chirurgie en fait une technique de choix pour étudier l’activité du cerveau.

Lors d’une stimulation visuelle indirecte, l’information passe d’abord par l’œil avant d’atteindre le cerveau. Sur son chemin, elle pourra subir des modifications, notamment au niveau de la rétine, avant d’être transférée à l’aire de la vision via le nerf optique. Il y a donc une étape intermédiaire entre la stimulation visuelle et l’aire du cerveau traitant l’information. Lors d’une stimulation magnétique directe, c’est l’aire de la vision qui va directement être stimulée.

Pourquoi stimuler le cerveau ?

Il est intéressant de stimuler le cerveau pour bien l’étudier. Continuons l’exemple de l’étude de la perception visuelle. Au laboratoire, les chercheurs peuvent l’étudier de manière indirecte. Un objet vous est présenté sur un écran, et l’activité de votre cerveau en résultant peut être visualisée grâce à un enregistrement IRM (image 3D du cerveau et des aires cérébrales impliquées) ou EEG (enregistrement de l’activité électrique du cerveau) par exemple.

Ce type d’étude permet de savoir quelles zones du cerveau s’activent en réponse à une stimulation donnée et quelle est la dynamique temporelle de leur activité électrique. Mais comme nous l’avons vu, cette approche a des limites notamment du fait du rôle des organes sensoriels sur la perception. La TMS en revanche va permettre de stimuler directement une zone précise du cortex de quelques cm³ permettant une excellente résolution spatiale (et temporelle) et donc éviter l’effet de ces organes sensoriels.

Stimulation directe et indirecte du cerveau (Dugué Lab, Eddy Malrat).

Si la vision d’un objet active la population de neurones A, cela ne veut pas dire que la réciproque est forcément vraie : lorsque j’active la population de neurones A, est-ce que je vais voir cet objet ? La TMS permet d’étudier ce lien causal entre notre perception et l’activité cérébrale. Ainsi, des études ont montré que si la TMS active des neurones qui répondent habituellement à la perception d’un objet situé en haut à droite de votre champ de vision, il en résultera la perception d’une activité illusoire dans cette même partie du champ de vision (en haut à droite). La TMS permet donc de cibler spécifiquement la population de neurones à l’origine de la perception de cet objet.

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En résumé, activer le cerveau permet de mieux l’étudier. La TMS rend possible l’étude du lien direct entre l’activation neuronale et la perception. Elle peut donc venir en complément d’autres techniques d’imagerie cérébrale. Par exemple, l’IRM donne une image très précise spatialement du cerveau, au contraire de l’EEG qui enregistre plus précisément son activation au cours du temps. La TMS ne permet pas d’obtenir d’image du cerveau en elle-même. Elle est uniquement là pour en modifier l’activité et donc nous permet de confirmer les résultats observés en EEG ou IRM. C’est donc un outil de plus dans la panoplie du chercheur pour mieux cerner les mécanismes du cerveau.

Peut-on changer nos pensées en stimulant le cerveau ?

Activer les neurones ne signifie absolument pas que l’on peut faire ce que l’on veut de votre cerveau avec la TMS ! Notre environnement quotidien est fait de milliers de stimulations à la minute. Les pensées, les souvenirs, les actions mettent en jeu des réseaux de neurones et des schémas d’activation bien plus complexes que la réponse créée par une simple impulsion TMS sur une partie de la tête.

Les chercheurs ne connaissent d’ailleurs pas toutes les subtilités de la dynamique neurale qu’il y a derrière une pensée donnée… Difficile alors de savoir comment modifier l’activité cérébrale pour influencer nos esprits. La TMS est encore très loin de ressembler à un appareil de science-fiction capable de transformer n’importe qui en marionnette – mais s’avère être un formidable outil pour percer les nombreux mystères du cerveau…The Conversation

Laurie Galas, Doctorante en Sciences Cognitives, Université Paris Cité; Laetitia Grabot, Chercheur postdoctoral en neurosciences cognitives, Université Paris Cité et Laura Dugué, Enseignante-Chercheuse en Neurosciences Cognitives, Université Paris Cité

Nous remercions les autrices et The Conversation pour l'autorisation de republication.