Métavers : l’heure du premier bilan

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Métavers : l’heure du premier bilan

Charles Perez, PSB Paris School of Business et Armand Derhy, PSB Paris School of Business

Le 18 octobre 2021, Meta (maison-mère de Facebook, WhatsApp et Instagram) annonçait la création de 10 000 emplois dans l’Union européenne au cours des cinq prochaines années, afin d’investir dans les nouveaux talents et d’aider à construire le métavers.

Un an plus tard, Mark Zuckerberg annonce la suppression de 11 000 emplois déclenchant la première vague de licenciements et reconnaissant les changements les plus difficiles de l’histoire de l’entreprise.

Pourtant, un rapport récent du cabinet McKinsey évalue à 5 000 milliards de dollars le marché du métavers à l’horizon 2030, soit l’équivalent de la troisième économie mondiale derrière les États-Unis et la Chine. Les investissements sont évalués à plus de 120 milliards de dollars. Le projet métavers dépasse les ambitions d’une seule entreprise, aussi grande soit-elle.

Des enseignes et des marques de renom telles que Nike, Balenciaga ou Louis Vuitton se sont positionnées dans ces espaces virtuels. Des sociétés telles que Microsoft, Amazon ou Google ont confirmé leurs investissements. La situation étant ambivalente, décryptons les divergences de perception du métavers et investiguons les ingrédients qui peuvent contribuer à sa réussite.

Pourquoi le métavers ne rencontre-t-il pas le succès attendu ?

La première source d’ambiguïté est liée au simple fait que nous ne sommes pas tous d’accord sur la définition du ou des métavers. Le métavers est un concept en cours de construction et personne ne sait vraiment à quoi il ressemblera, ni même ce que l’on doit inclure derrière ce terme. Le web 3, les jetons non fongibles (NFT) et la chaine de blocs sont autant de créations modernes qui s’articulent autour du métavers. La méconnaissance de ces technologies et les frontières floues entre ces concepts et celui de métavers ne facilitent pas la compréhension du grand public.

En mai 2022, Ipsos a publié les résultats d’une enquête indiquant que seulement 28 % des Français étaient familiers avec le concept de métavers. Alors que les grands groupes, les États et l’UE investissent, 62 % des Français ne voient toujours pas l’intérêt des mondes virtuels. Il est donc essentiel d’informer les citoyens afin de mieux comprendre le métavers et les technologies associées.

Le rapport interministériel de la mission sur le développement des métavers publié en octobre 2022 définit ce dernier comme « un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives ».

Cette définition place l’expérience virtuelle au cœur du sujet. Pourtant, les casques de réalité virtuelle sont encore peu adoptés et ont des limitations évidentes (coût, autonomie, poids). Dans une volonté d’inclusion, les grands acteurs présentent un métavers accessible via un casque de réalité virtuelle, mais également depuis un navigateur ou une application mobile. Tandis que l’immersion est selon certains acteurs, nécessaire, selon d’autres elle serait un frein à la démocratisation du métavers.

À ce jour, plusieurs centaines de métavers peuvent être recensés et les plus grands (Roblox, Second Life, Zepeto, Minecraft, Fortnite) regroupent des millions d’utilisateurs. Les chiffres colossaux que l’on voit circuler sont gonflés par le succès des jeux en ligne massivement multijoueurs. Cependant, on peut se demander si ces derniers peuvent être considérés comme des métavers. Cette question doit être débattue, d’autant plus que certains articles ont mis en évidence la très faible fréquentation de plates-formes régulièrement citées comme métavers (Decentraland, The Sandbox). Même si ces chiffres ont été contredits, nous n’atteignons pas le niveau d’engagement espéré.

Que faut-il pour le succès du métavers ?

L’adoption du métavers est trop lente pour les observateurs. L’attente est grande, car des acteurs majeurs se sont affichés tôt et ont fait un pari à long terme. En dépit du niveau record de 400 millions d’utilisateurs actifs mensuels en 2022 (l’équivalent du nombre d’internautes au passage à l’an 2000), l’adoption massive est lointaine. Récemment encore, lors du DealBook Summit, Mark Zuckerberg a laissé entendre que le métavers ne serait pas rentable avant 2030 au plus tôt.

Une étude de Gartner indique que 25 % des personnes passeront une heure par jour dans le métavers en 2026. Sa méthodologie hype cycle (courbe décrivant l’évolution d’une nouvelle technologie) a placé le métavers comme technologie émergente. Elle estime que son plateau de productivité sera atteint dans plus de dix ans.

Les entreprises en quête d’une meilleure productivité pourraient être un levier d’adoption majeur. Un grand nombre d’acteurs pensent que le métavers est sur le point de révolutionner le travail à distance. La crise sanitaire a largement contribué à l’accélération de l’adoption de ce type de format. Selon un rapport de Forrester, au moins trois des quatre solutions phares suivantes, Zoom, Slack, Webex et Google Apps, ajouteront en 2023, des fonctionnalités de type métavers. Une enquête récente de PwC a révélé que 51 % des entreprises sont en train d’intégrer la réalité virtuelle dans leur stratégie ou ont déjà intégré la réalité virtuelle dans au moins un secteur d’activité. Les établissements d’enseignement supérieur ont également identifié des effets bénéfiques du métavers.

Les modèles d’adoption des technologies nous rappellent l’importance des critères relevant de la facilité d’utilisation ainsi que de leur utilité. À ce jour, ces derniers ne sont pas réellement remplis. L’effort pour entrer dans le métavers ne sera plus un frein lorsque nos motivations seront suffisantes. Pour ceux ayant franchi le pas, Capgemini indique que les trois quarts l’utilisent toujours et vont continuer à le faire.

Parmi les nombreuses conditions permettant le déploiement à grande échelle du Métavers, les critères suivants sont régulièrement avancés.

Le métavers doit être interopérable. Cela signifie que les concepteurs et plates-formes permettant la création d’univers virtuels devraient s’appuyer sur des protocoles communs afin de rendre facile le changement d’espace virtuel. À terme, naviguer d’un espace à un autre devrait pouvoir se faire aussi simplement que de naviguer d’une page web à une autre. Ce travail est en cours avec les efforts de l’Open Metaverse Alliance (association basée en Suisse) ou du Metaverse Standards Forum (consortium industriel).

Pour obtenir une expérience satisfaisante, il est essentiel de pouvoir bénéficier d’une interaction en temps (quasi) réel. Le nombre d’opérations par seconde est une limite fondamentale. Le rendu et la synchronisation des scènes dépendent des performances techniques. Le métavers, pour toucher un large public, devra donc compter sur des technologies toujours plus performantes. Cela pose également la question de la consommation énergétique des univers virtuels. Ces derniers devront s’inscrire du mieux possible dans le cadre de la sobriété numérique.

Les évolutions technologiques devront aussi trouver les parades pour réduire la cybernétose (terme adapté de la cinétose – une discordance entre la perception visuelle et le système vestibulaire qui génère un mal des transports) dont près de 40 % des utilisateurs souffrent ainsi que la fatigue visuelle, musculaire et la charge mentale. De même, le vol de données, d’actifs numériques ou le non-respect de la vie privée pour cause de problème de sécurité ou d’éthique pourraient générer une perte de confiance des utilisateurs et des investisseurs.

Les outils devront être plus facilement accessibles sans présenter de complexité inutile. La création d’un portefeuille de cryptomonnaies, l’achat de NFT et la création d’expériences virtuelles devront pouvoir se faire de manière plus intuitive.

Une avancée attendue est celle de la captation plus fine de nos sens, y compris le toucher, les odeurs et le son spatialisé. Des vestes haptiques commencent à voir le jour et contribuent à ressentir les interactions virtuelles dans le monde physique. Elles permettent par exemple de ressentir la sensation du vent ou même celle de la pluie. Des tapis omnidirectionnels permettent de courir, nager et de se déplacer dans les univers virtuels avec des gestes réels.

Aujourd’hui, le jeu vidéo est une porte d’entrée dans le métavers qui a déjà séduit les plus jeunes, mais peine à convaincre les autres publics. Le métavers est entre les mains de la jeunesse, puisque, sur certains univers virtuels, près de 51 % des utilisateurs auraient moins de 13 ans. Si le métavers est régulièrement confronté à des vagues de scepticisme, la nouvelle génération semble déjà immergée dans l’univers virtuel et participe activement à sa construction.The Conversation

Charles Perez, Professeur associé, PSB Paris School of Business et Armand Derhy, Directeur de Paris School of Technology & Business, PSB Paris School of Business

Nous remercions les auteurs et The Conversation pour l'autorisation de republication.