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Après dix ans de travaux, une nouvelle carte de la surface de Mars a été réalisée. Elle renseigne sur l’histoire de l’eau liquide il y a plus de 3,5 milliards d’années – époque des plus anciennes traces de vie connues sur Terre. Cette carte, faite à partir des sondes orbitales de l’ESA Mars Express et de la NASA Mars Reconnaissance Orbiter, recense des centaines de milliers de dépôts de minéraux « hydratés » – formés en contact avec de l’eau liquide – à la surface de Mars.
Les minéraux hydratés sont une des cibles scientifiques prioritaires des deux dernières décennies, et les futures missions de retours d’échantillons (Mars Sample Return et le rover Perseverance et d’analyses exobiologiques in situ (ExoMars) les étudieront plus en détail. Enfin, ils constituent des ressources potentiellement exploitables en eau et en matériaux de construction, pour de futures missions habitées vers Mars.
Pour toutes ces raisons, il était critique de comprendre leur répartition, leur contexte de formation, et leurs abondances à la surface. Notre connaissance était jusqu’alors limitée à quelques milliers de sites éparpillés sur Mars, dont seulement quelques-uns avaient été cartographiés en détail. La nouvelle carte des minéraux hydratés fournit cette fois une vision globale et à haute résolution spatiale (environ 200 mètres par pixel) de l’ensemble de la planète (excepté ses pôles, recouverts de glaces pérennes ou givre saisonnier).
Ces minéraux ont la particularité de s’être formés par interaction chimique entre la croûte martienne, principalement d’origine volcanique, et l’eau liquide. La plupart d’entre eux conservent une fraction d’eau stockée sous forme moléculaire ou structurelle, qui pourrait atteindre plusieurs dizaines de % de la masse des roches altérées.
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Ces minéraux hydratés, tels les argiles ou les sels, sont d’excellents traceurs d’anciens environnements géologiques riches en eau. Ils renseignent sur les conditions chimiques et donnent une indication sur la disponibilité en eau et sur sa potentielle stabilité dans le temps. On suspecte également que certains minéraux hydratés sont capables de piéger et préserver sur des temps géologiquement longs de la matière organique, dont une fraction aurait pu appartenir à des organismes vivants.
Un fait surprenant ressort de ces cartes : la surface la plus ancienne de Mars, plus vieille que 3,5 milliards d’années, présente des vestiges d’eau liquide partout, via la présence de ces minéraux. Auparavant, la détection d’un tel dépôt constituait une curiosité rare de Mars. Le paradigme a changé puisque désormais, il est rare de ne pas apercevoir ces minéraux lorsque l’on observe les terrains les plus anciens.
La connaissance fine de leur répartition géographique permet de corréler minéralogie et morphologie pour mieux contraindre leur contexte de formation. C’est ainsi que des sédiments argileux et deltaïques ont été découverts sur le site d’Oxia Planum, proposé comme site d’atterrissage pour la mission ExoMars. Le sort de cette mission majeure d’exploration exobiologique de Mars est pourtant encore incertain mais pourrait partir pour Mars avant la fin de cette décennie.
D’autre part, une approche novatrice de modélisation des spectres infrarouges de Mars permet d’estimer non seulement la composition précise de ces minéraux mais aussi leurs abondances. Ainsi devient-il possible d’estimer la fraction en masse des minéraux d’intérêt dans les roches martiennes affleurantes puis la fraction d’eau potentiellement disponible. Cette information est clef pour quantifier l’intensité de l’altération chimique par l’eau, mais aussi pour en estimer les ressources potentielles.
Une des questions majeures qui pourra être abordée désormais concerne l’évolution climatique de Mars.
Si Mars a eu une surface active et riche en eau dans sa période la plus ancienne, il est bien établi qu’un changement climatique majeur et irréversible a radicalement modifié les conditions de surface de Mars, qui est devenue aride et s’est refroidie globalement.
Le changement d’atmosphère de Mars ne s’explique pas entièrement par un échappement de ses constituants vers l’espace. Il se pourrait qu’une fraction importante de son eau et de son dioxyde de carbone ait été « bue » par ses roches lors des réactions chimiques formant les minéraux hydratés. En l’absence de mécanismes de recyclage comme sur Terre, notamment la tectonique des plaques, il se pourrait ainsi que l’équivalent d’une couche d’eau globale de centaines de mètres d’épaisseur ait été piégée dans les roches, et s’y trouverait encore aujourd’hui.
John Carter, Astronome, Université Paris-Saclay et Lucie Riu, Research Fellow, European Space Agency