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Le 5 Décembre 2022 marquera un tournant dans la recherche sur la fusion nucléaire. Plus de 100 ans après que l’astrophysicien britannique Arthur Eddington émit l’idée que la fusion serait « une source d’énergie inépuisable si maîtrisée », le National Ignition Facility (NIF) aux États-Unis a réussi, pour la première fois, à générer plus d’énergie par des réactions de fusion que celle nécessaire à la provoquer. Que signifient ces résultats ? Pourquoi est-ce une vraie avancée pour la recherche ? Et quelles conséquences pour le développement de la fusion comme source d’énergie bas-carbone ?
La fusion nucléaire est le procédé qui se produit au cœur des étoiles – notre soleil fusionne environ 600 millions de tonnes d’hydrogène par seconde générant en 1 seconde autant d’énergie que l’humanité n’en utilise en une année entière (418 exajoules en 2021). La majorité des recherches se concentrent sur la fusion entre 2 isotopes de l’hydrogène, le deutérium et le tritium, qui produit un neutron très énergétique et un atome d’hélium. Cette réaction est en effet plus accessible que celle se produisant au cœur du soleil.
Pour provoquer la fusion, il faut des conditions extrêmes, notamment des températures de l’ordre de 100 millions de degrés. Atteindre ces températures nécessite un apport conséquent d’énergie, et pour que la fusion soit profitable, il faut qu’elle génère beaucoup plus d’énergie qu’il n’en faut pour la provoquer. Le rapport entre l’énergie apportée et celle produite est appelée le gain, s’il est supérieur à 1 alors la réaction de fusion aura libéré plus d’énergie que celle apportée.
Il y a deux voies possibles pour réaliser la fusion nucléaire : le confinement magnétique (ITER, par ex.) qui utilise des aimants puissants pour confiner le plasma pendant des durées très longues, et le confinement inertiel qui induit la réaction par des impulsions très brèves et intenses. Le NIF est une installation de fusion inertielle qui utilise des lasers très puissants.
Jusqu’à récemment, aucune expérience n’avait réussi à obtenir un gain supérieur à 1. Le record pour la fusion par confinement magnétique, était de 0,65 dans le tokamak JET (UK) en 1997, et le NIF avait obtenu un gain de 0,7 en août 2021. Il faut noter que ce gain est pris au niveau du plasma (l’état de la matière à très hautes températures) et pas au niveau de l’ensemble de l’installation. Ce même NIF vient pour la première fois d’atteindre un gain supérieur à 1. Pour une énergie injectée de 2,1 mégajoules (via 192 lasers), la fusion a produit une énergie de 3,15 mégajoules, soit un gain de 1,5 !
Au-delà de l’aspect symbolique, ce résultat représente une vraie avancée scientifique. Le NIF utilise un schéma dit « d’attaque indirecte » : le combustible (une bille en diamant de 2 mm de diamètre contenant du deutérium et du tritium) n’est pas directement chauffé par les 192 faisceaux laser. En effet, il est placé dans un « Hohlraum » (un cylindre métallique) qui est chauffé par les lasers pour produire des rayons X qui vont chauffer et comprimer le combustible.
Cette approche présente l’avantage de rendre l’alignement des lasers plus aisé, mais présente le désavantage que seule une partie de l’énergie des lasers (10-20 %) est convertie en rayons X et chauffe le combustible. Au niveau du combustible, l’énergie de fusion produite est donc largement supérieure à l’énergie incidente : le plasma est auto-chauffé. On entre dans le régime des plasma auto-entretenus, un régime de la physique des plasmas qu’il était impossible d’étudier jusque récemment.
Beaucoup de voix se sont élevées pour relativiser les résultats obtenus en pointant le fait que les lasers nécessitent près de 400 mégajoules d’énergie pour pouvoir fournir les 2 mégajoules injectés dans NIF. Il faut cependant garder en tête que le NIF n’a pas été conçu pour générer de l’électricité, mais pour démontrer l’ignition. Surtout, cette installation (tout comme le laser MégaJoule en France) vise à permettre de simuler des explosions nucléaires (les essais nucléaires en condition réelles étant interdits) et est largement financé par le Department of Defense américain. La construction du NIF a démarré en 1997, ses opérations ont commencé en 2009. Les technologies laser ont beaucoup progressé depuis.
Il est clair qu’un gain largement supérieur à 100 (au niveau du combustible) sera nécessaire pour produire de l’électricité à un coût acceptable dans le futur et qu’il reste donc beaucoup à faire de ce côté. Mais surtout, une expérience à NIF requiert beaucoup de temps de préparation pour être exécuté, et seulement quelques tirs par semaine sont réalisés. Un réacteur devra pouvoir être opéré avec une fréquence de l’ordre de 10 tirs par secondes, et ce 365 jours par an, ce qui représente un gros défi technologique. L’approche indirecte utilisée par le NIF est difficilement extrapolable à un réacteur puisqu’elle complique la fabrication du combustible et nécessite des gains plus élevés pour compenser les pertes. Plusieurs start-up développent cependant des concepts de réacteur de fusion inertielle.
Il reste également d’autres défis technologiques à relever pour pouvoir disposer d’un réacteur de fusion opérationnel (que ce soit pour la fusion magnétique ou la fusion inertielle). L’un d’eux est de pouvoir disposer du combustible nécessaire. Si le deutérium est très abondant sur Terre, le tritium lui est radioactif et a une durée de demi-vie très courte (12,3 ans). Il est principalement produit dans les réacteurs nucléaires de type CANDU au Canada. On estime le stock mondial de tritium à environ 30 kg alors qu’un réacteur de fusion produisant 500 MW d’électricité nécessiterait environ 90 kg de tritium par an.
Pour contourner ce problème, un réacteur de fusion devra produire son propre tritium – une couverture tritigène contenant du lithium entourera le plasma. Les neutrons produits par la fusion interagiront avec le lithium pour former du tritium. Pour permettre de démarrer d’autres réacteurs, la production devra même être légèrement supérieure à la consommation. Or cette technologie n’a jamais été démontrée à l’échelle. Certaines start-up proposent d’utiliser d’autres combustibles, mais comme l’hélium-3 ou le bore, mais ces réactions nécessitent des conditions de températures beaucoup plus difficiles à atteindre.
Il y a d’autres défis comme celui des matériaux – ceux-ci seront constamment bombardés par des neutrons extrêmement énergétiques, mais devront maintenir des propriétés mécaniques et physiques suffisantes pendant des durées extrêmement longues, un domaine de recherche très actif.
Il est clair que les résultats du NIF sont un progrès pour la fusion, un domaine qui connaît depuis quelques années un engouement d’investisseurs privés et qui compte environ 30 start-up développant des concepts de réacteurs de fusion. Le gouvernement américain a annoncé plus tôt cette année qu’il développait un plan sur 10 ans pour accélérer le développement de la fusion nucléaire. Les résultats récents arrivent donc à point pour justifier ces ambitions, et on peut imaginer que des investisseurs privés vont y voir une raison supplémentaire de s’intéresser au domaine.
Le développement de la fusion est cependant une aventure au long cours, et l’atteinte du breakeven n’est qu’une étape nécessaire, mais pas suffisante. De plus si le développement d’un premier réacteur est extrêmement important, pour que la fusion joue un rôle dans le mix énergétique mondial il faudra en construire en très grande quantité, ce qui prendra nécessairement du temps même avec une approche très volontariste. La fusion reste donc une option de long terme pour l’énergie, alors que le changement climatique impose un changement rapide du système énergétique.
Greg De Temmerman, Chercheur associé à Mines ParisTech-PSL. Directeur général de Zenon Research, Mines Paris et Rémi Delaporte-Mathurin, Chercheur spécialiste des plasmas, Massachusetts Institute of Technology (MIT)
Nous remercions les auteurs et The Conversation pour l'autorisation de republication.