Les métaux sont-ils le chaînon manquant pour comprendre la maladie d’Alzheimer ?

Tiempo estimado de lectura:min

Les métaux sont-ils le chaînon manquant pour comprendre la maladie d’Alzheimer ?

Nicolas Vitale, Inserm; Christelle Hureau, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Michael Okafor, Université de Strasbourg et Peter Faller, Université de Strasbourg

Les maladies neurodégénératives sont caractérisées par une détérioration progressive des neurones, entraînant un dysfonctionnement du système nerveux et une perte graduelle des capacités cognitives et/ou motrices. La maladie d’Alzheimer représente la forme la plus courante de ces pathologies.

Bien que cette dernière présente un impact et un coût sociétal majeurs dans nos sociétés vieillissantes, très peu de progrès ont été faits d’un point de vue thérapeutique et ceci malgré des efforts importants en recherche clinique. Ce paradoxe apparent pourrait provenir d’une compréhension encore partielle de ses mécanismes moléculaires.

Nous essayons d’apporter ici un éclairage original à ce sujet en nous focalisant sur l’altération de la répartition des « métaux » dans le cerveau, qui pourrait favoriser la dégénérescence et la mort des neurones. Par souci de simplification, nous utilisons le terme « métaux » pour désigner les ions métalliques issus du zinc Zn(II), du cuivre Cu(I/II) et du fer Fe(II/III).

Une origine toujours incomprise

Dès 1907, les travaux originaux d’Alois Alzheimer avaient mis en évidence l’existence de plaques dites « amyloïdes » (dépôt de protéines agrégées) dans le cerveau d’une patiente décédée ayant souffert de démences caractéristiques de la maladie qui portera plus tard son nom. Mais plus d’un siècle plus tard, de nombreux aspects de la maladie restent dans l’ombre.

Ces plaques amyloïdes résultent de l’agrégation de protéines nommées Amyloïdes-β (Aβ), identifiées par George Glenner et Caine Wong (université de Californie) dès 1984, puis de leur accumulation. L’agrégation est le phénomène par lequel elles se regroupent pour former des ensembles très stables. Les protéines Aβ proviennent de la coupure d’une protéine parente, plus longue, appelée « protéine précurseur de l’amyloïde » (APP). Les fonctions de l’APP, tout comme celles de l’Aβ, restent encore largement inconnues et partiellement incomprises.

La théorie dite « amyloïde » selon laquelle la maladie d’Alzheimer est causée par la présence de ces fameuses plaques amyloïdes dans le cerveau a été formulée initialement par le généticien John Hardy (University College London) et le neurobiologiste Gerald Higgins (National Institute on Aging) en 1992. Mais la contribution réelle des agrégats de protéines dans l’évolution de la maladie reste aujourd’hui sujette à débat.

Plaques amyloïdes dans le cerveau de patients atteints de la maladie d’Alzheimer
Les plaques amyloïdes (ici en fuchsia), constituées de protéines agglutinées entre les cellules cérébrales, peuvent être présentes dans le cerveau des malades atteints d’Alzheimer. Pics56, CC BY-SA

Une autre théorie est également formulée, mettant cette fois en cause une agrégation intracellulaire anormale de la protéine Tau. Cette dernière, associée aux microtubules (qui participent à la formation du squelette cellulaire) et régulant leur dynamique de formation et déformation, peut entraîner des enchevêtrements fibreux capables de se propager d’un neurone à l’autre et à l’ensemble du cerveau.

Habituellement, Tau reçoit un groupement chimique nommé phosphate afin de réguler ses fonctions cellulaires. Or, dans certaines conditions, Tau se trouve chargée de beaucoup trop de phosphates cela va favoriser son agrégation et induire une perte fonctionnelle puis, in fine, la mort neuronale.

Ces deux théories, « amyloïde » et « Tau », ont conduit au développement de nombreuses recherches pour le développement de médicaments… qui, pour l’heure, restent peu efficaces. Beaucoup sont en effet basées sur l’utilisation de modèles animaux transgéniques (génétiquement modifiés) ou de protéines synthétiques qui reproduisent imparfaitement la pathologie humaine.

Par ailleurs, on sait aujourd’hui que des plaques amyloïdes peuvent être présentes dans le cerveau de patients ne souffrant pas de démences et, inversement, être absentes (ou peu s’en faut) chez des patients ayant souffert de démences. Bref, il ne semble pas y avoir de corrélation étroite entre la quantité de plaques amyloïdes et la sévérité des symptômes de la maladie.

Il parait donc maintenant important et urgent d’envisager la maladie d’Alzheimer non plus sous une seule hypothèse, mais de la considérer sous un aspect multifactoriel.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Envisager de nouvelles approches

Un des premiers arguments en faveur de l’approche multifactorielle provient des études génétiques qui ont permis de mettre en évidence des gènes de susceptibilité à la maladie c’est-à-dire des gènes dont des variants peuvent augmenter ou diminuer le risque de développer cette pathologie. Le premier et principal est le variant 4 du gène APOE (APOE4) codant pour l’apolipoprotéine E (impliquée dans le transport des lipides).

Depuis, des études complémentaires ont permis d’étendre le nombre de gènes dont des variations sont à considérer. De manière intéressante, beaucoup touchent au métabolisme des lipides ce qui pourrait représenter un axe de recherche complémentaire aux recherches sur Aβ et Tau.

Parmi les hypothèses complémentaires, on peut également citer les dysfonctions du cycle des neurotransmetteurs, de la cascade mitochondriale mais aussi prendre en compte des pathologies comme le diabète, qui sont associées à une augmentation du risque de développer la maladie.

Comme nous l’avons indiqué en préambule, nos laboratoires travaillent sur une hypothèse complémentaire, encore peu étudiée dans ses aspects thérapeutiques, et qui porte sur une altération de la régulation des métaux. Fer, cuivre et zinc sont en effet autant de micronutriments essentiels pour la santé un déséquilibre dans leurs concentrations de notre corps est incompatible à son bon fonctionnement.

Un arc cible la multitude de facteurs possiblement impliqués dans la maladie d’Alzheimer (Aβ, Tau, radicaux libres… et les métaux fer, zinc et cuivre)
La maladie d’Alzheimer est multifactorielle. Après les protéines amyloïdes β et Tau, les métaux, dont le cuivre, semblent être une piste de recherche importante et une future cible thérapeutique possible. Christelle Hureau/Cordis, Author provided

L’hypothèse de l’anomalie métallique

Notre modèle se fonde sur l’observation d’un changement dans la localisation dans le cerveau de certains métaux, principalement le zinc (Zn), le fer (Fe) et le cuivre (Cu), et sur le fait que l’Aβ est capable de s’y lier ce qui en favorise l’agrégation. De plus, le fer ou le cuivre liés à l’Aβ sont aussi capables de favoriser la production de molécules réactives de l’oxygène, principalement des radicaux libres, qui sont toxiques sinon létaux pour les neurones. Ce type de toxicité est aussi connu sous le nom de « stress oxydatif », et est constaté dans les stades précoces de la maladie d’Alzheimer.

Plusieurs études ont montré des concentrations en métaux différentes (Cu, Zn et Fe) entre patients sains et atteints de la maladie. Au-delà des concentrations au niveau global du cerveau, ce qui compte est la répartition des métaux entre milieu extra et intracellulaire.

Bien que les niveaux cérébraux pour ces trois métaux soient impactés, le cuivre a été choisi comme cible thérapeutique privilégiée car, se retrouvant principalement sous forme de nano-particules, il peut participer au stress oxydant au contraire des deux autres.

À ce jour, deux essais cliniques ont été conduits pour restaurer l’homéostasie des métaux (leur bon équilibre interne), mais ils ont dû être stoppés par manque de spécificité et de pureté des molécules testées pour leur transport.

Pour surmonter ces problèmes, nous avons conçu une nouvelle molécule capable de véhiculer spécifiquement le cuivre. Non seulement elle se lie très préférentiellement avec ce métal, mais elle est aussi capable de l’extraire de l’Aβ. Elle stoppe également la production d’espèces réactives de l’oxygène, et ramène le cuivre à l’intérieur des cellules neuronales où il est normalement utilisé par diverses protéines et enzymes pour leur bon fonctionnement physiologique.

Cette molécule, capable de faire naviguer le cuivre de l’extérieur où il est néfaste vers l’intérieur de la cellule où il est nécessaire, représente donc un nouvel outil précieux en recherche fondamentale. Elle va permettre de mieux comprendre les implications d’une dérégulation des quantités de cuivre dans la maladie d’Alzheimer et, de plus, présente des applications thérapeutiques potentielles en le repositionnant correctement.

Avant d’envisager son utilisation thérapeutique, nous poursuivons nos travaux sur des modèles plus intégrés comme des coupes d’hippocampe en trois dimensions de cerveaux de souris. Ces modèles permettent de mieux étudier l’impact de la dégénérescence neuronale dans un modèle ayant conservé l’organisation dans l’espace de cette zone cérébrale majeure.

Des espoirs pour demain

En conclusion, pour une maladie multifactorielle telle que la maladie d’Alzheimer, il est nécessaire de s’intéresser à plusieurs cibles thérapeutiques protéines Aβ, Tau, métaux… Et ce, le plus tôt possible dans la mise en place de la maladie afin d’obtenir une amélioration des manifestations cliniques.

Dans ce contexte, nous avons mis au point une nouvelle molécule apte à transférer l’excédent de cuivre extracellulaire vers l’intérieur de la cellule qui en manque. Ce qui cible plusieurs facteurs l’agrégation de Aβ modulée par les métaux, la production d’espèces réactives de l’oxygène par le cuivre lié au Aβ toxiques pour les neurones, et le manque de cuivre intracellulaire qui nuit au bon fonctionnement cellulaire.The Conversation

Nicolas Vitale, Directeur de recherche, Inserm; Christelle Hureau, Directrice de recherches CNRS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Michael Okafor, Doctorant à l'Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives et l'Institut de chimie, Université de Strasbourg et Peter Faller, Professeur de chimie, Université de Strasbourg

Nous remercions les auteurs et The Conversation pour l'autorisation de republication.