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De quoi avez-vous besoin pour faire pousser votre jardin ? D’un bon ensoleillement et de légères averses, d’abeilles et de papillons pour polliniser, mais aussi d’un bon sol, riche en minéraux essentiels.
Imaginez que vous n’ayez ni sol riche, ni averses, ni abeilles, ni papillons, et que le soleil soit trop fort et trop direct, ou totalement absent, menant à des températures glaciales. Des plantes pourraient-elles pousser dans un tel environnement ? Si oui, lesquelles ?
C’est une question à laquelle les colons de la Lune (et de Mars) devront répondre si (ou quand) l’exploration humaine des planètes voisines se poursuit. Une étude publiée récemment commence à apporter des réponses.
Les chercheurs à l’origine de cette étude ont cultivé la plante à croissance rapide Arabidopsis thaliana dans des échantillons de « régolithe » lunaire (c’est le nom du sol de la Lune), rapportés de trois endroits différents de la Lune par les astronautes des missions Apollo dans les années 1970.
Ce n’est pas la première fois que l’on tente de faire pousser des plantes dans le régolithe lunaire, mais c’est la première fois que l’on démontre pourquoi elles ne prospèrent pas.
En effet, le régolithe lunaire est très différent des sols terrestres : il ne contient pas la matière organique caractéristique du sol terrestre (vers, bactéries, matières végétales en décomposition), et il est très sec.
Mais ceci mis à part, il est composé des mêmes minéraux que les sols terrestres. Donc, en supposant que le manque d’eau, de lumière et d’air soit compensé par la culture des plantes à l’intérieur d’un habitat lunaire (une serre par exemple), le régolithe pourrait avoir le potentiel de faire pousser des plantes.
Cette étude montre que c’est effectivement le cas. Les graines de Arabidopsis thaliana ont germé à la même vitesse dans le régolithe ramené par Apollo que dans le sol terrestre. Mais alors que les plantes du sol terrestre ont développé des racines et des feuilles, les semis des échantillons Apollo étaient rabougris et leurs racines ont mal poussé.
L’objectif principal de l’étude était d’examiner les plantes au niveau génétique et d’identifier spécifiquement les facteurs environnementaux (stress) qui suscitent les réponses génétiques les plus importantes. Les scientifiques ont découvert que la plupart des réactions au stress dans les plants Apollo provenaient des sels, de métaux et de l’oxygène très réactif dans les échantillons lunaires – les deux derniers n’étant pas courants dans le sol terrestre.
Les plants cultivés dans les échantillons Apollo ont été affectés à des degrés différents : ceux des échantillons d’Apollo 11 ont été les plus lents à se développer. Les compositions chimiques et minéralogiques des trois sols lunaires étaient assez similaires entre eux et aussi à la composition de l’échantillon terrestre. Les chercheurs ont donc soupçonné que les nutriments n’étaient pas la seule force en jeu.
En fait, le « sol terrestre », appelé JSC-1A, n’était pas un sol ordinaire, mais un mélange de minéraux préparé spécifiquement pour simuler la surface lunaire. Il ne contenait donc aucune matière organique. Le matériau de départ de JSC-1A était du basalte (tout comme dans le régolithe lunaire), auquel les scientifiques ont ajouté du verre volcanique naturel, pour jouer un rôle analogue à celui des « agrégats vitreux », ces petits fragments minéraux mélangés à du verre fondu qui sont abondants dans le régolithe lunaire.
Les scientifiques pensent que ces agrégats sont une des raisons potentielles du manque de croissance des semis dans le sol lunaire par rapport au sol terrestre, et qu’ils expliquent aussi les différents schémas de croissance entre les trois échantillons lunaires.
Les agrégats sont communs à la surface de la Lune. Ironiquement, ils sont formés par un processus appelé « jardinage lunaire », ou « altération spatiale » : il s’agit de la façon dont le régolithe change à cause du bombardement de la surface de la Lune par les rayons cosmiques, le vent solaire et de minuscules météorites. Comme il n’y a pas d’atmosphère pour ralentir les minuscules météorites qui frappent la surface, elles s’écrasent à grande vitesse, provoquant une fusion puis une trempe (c’est-à-dire un refroidissement rapide) au site d’impact.
Progressivement, de petits agrégats de minéraux se forment, maintenus ensemble par du verre. Ils contiennent également de minuscules particules de fer métallique (du fer « nanophasé ») formées par le processus d’altération spatiale.
C’est ce fer qui constitue la plus grande différence entre les agrégats vitreux des échantillons Apollo et le verre volcanique naturel de l’échantillon terrestre. C’est également la cause la plus probable du stress associé aux métaux, qui a été identifié dans les profils génétiques des pousses.
Ainsi, la présence d’agrégats dans les substrats lunaires a causé la difficulté des semis Apollo par rapport aux semis cultivés dans JSC-1A, en particulier ceux d’Apollo-11. En effet, l’abondance des agrégats dans un échantillon de régolithe lunaire dépend de la durée d’exposition du matériau à la surface du sol lunaire, ce que l’on appelle sa « maturité ».
Les sols les plus matures sont exposés à la surface depuis longtemps, à des endroits où le régolithe n’a pas été perturbé par des impacts récents ; tandis que les sols immatures se trouvent autour de cratères d’impacts récents et sur les pentes les plus abruptes des cratères, où des matériaux se trouvant initialement sous la surface se retrouvent exposés.
Les trois échantillons des missions Apollo avaient des maturités différentes, le matériau d’Apollo 11 étant le plus mature. Il contenait le plus de fer nanophasé et les pousses d’Arabidopsis thaliana cultivées dans ces échantillons présentaient les marqueurs de stress associés aux métaux les plus élevés dans leur profil génétique.
L’étude conclut que le régolithe plus mature était un substrat moins efficace pour la croissance des jeunes plants que le sol moins mature. Cette conclusion est importante, car elle démontre que des plantes pourraient être cultivées dans des habitats lunaires en utilisant le régolithe comme ressource, mais que l’emplacement de l’habitat doit être guidé par la maturité du sol.
Et une dernière réflexion : il m’a semblé que ces conclusions pourraient également s’appliquer à certaines régions pauvres de notre monde. Je ne veux pas répéter le vieil argument « Pourquoi dépenser tout cet argent pour la recherche spatiale alors qu’il pourrait être mieux dépensé pour les écoles et les hôpitaux ? » – ce serait le sujet d’un tout autre article.
Mais existe-t-il des développements technologiques issus de ces recherches qui pourraient être applicables sur Terre ? Ce que l’on a appris sur les modifications génétiques liées au stress pourrait-il être utilisé pour développer des cultures plus résistantes à la sécheresse ? Ou des plantes qui pourraient tolérer des niveaux plus élevés de métaux ?
Si le fait de faire pousser des plantes sur la Lune permettait d’aider les jardins à devenir plus verts sur Terre, ce serait une grande réussite.
Monica Grady, Professor of Planetary and Space Sciences, The Open University