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L’année 2022 devrait marquer une étape importante dans le retour sur la Lune. En effet, dans quelques mois doit décoller la première mission du nouveau programme lunaire américain, Artemis. Quel sera le déroulé et quels seront les enjeux techniques et économiques de ce grand projet spatial qui s’étalera sur toute la décennie ?
Annoncée pour la fin août au plus tôt, la mission Artemis I verra le premier décollage du nouveau lanceur géant de la NASA, le SLS (Space Launch System). Prévu à l’origine pour fin 2016, le programme fait face à d’importants retards. En avril dernier encore, le dernier grand test avant lancement, le wet dress rehearsal, a révélé plusieurs problèmes techniques, notamment liés au remplissage des réservoirs en oxygène et en hydrogène liquides. La NASA a ainsi dû renvoyer le lanceur dans son bâtiment d’assemblage pour réparation. Un nouvel essai doit avoir lieu le 20 juin 2022 sur le pas de tir 39B du centre spatial Kennedy, en Floride.
C’est seulement une fois ce test validé que la mission Artemis I pourra avoir lieu. Il faut dire que le SLS est un objet technique particulièrement complexe. Avec ses 70 tonnes et presque 100 mètres de haut, il sera le lanceur le plus puissant jamais construit, surpassant l’emblématique Saturn V qui conduisit 24 astronautes américains vers la Lune entre 1968 et 1972.
Au sommet du SLS est placé le vaisseau Orion, dans lequel voyageront les astronautes. Orion reprend l’architecture de son grand frère, le module Apollo, mais avec des dimensions plus importantes. Ainsi, quatre astronautes pourront faire le voyage vers la Lune lors de chaque mission, contre trois à l’époque d’Apollo.
Mais dans un premier temps, c’est un vaisseau Orion vide qui sera lancé par le SLS afin de tester l’ensemble des étapes de la mission. Il restera en orbite autour de la Lune plusieurs jours afin de permettre aux ingénieurs de la NASA de vérifier ses performances. Grâce aux moteurs de son module de service construit par l’Agence spatiale européenne, il reprendra ensuite le chemin de la Terre, afin de tester les étapes critiques de rentrée dans l’atmosphère et d’amerrissage.
Si cette répétition générale est concluante, un premier vol avec équipage suivra lors de la mission Artemis II, prévue pour l’instant pour la mi-2024. Comme leurs prédécesseurs d’Apollo 8, les quatre astronautes de la mission survoleront la Lune mais ne s’y poseront pas. Il faudra donc attendre Artemis III pour voir le véritable retour d’un équipage à la surface de notre satellite. Après avoir quitté Orion pour alunir à bord du HLS (Human Landing System), deux astronautes, dont la première femme à marcher sur la Lune, séjourneront près d’une semaine à la surface, soit plus du double du record établi lors des missions Apollo. Prévue pour 2025, la mission pourrait toutefois connaître plusieurs années de retard selon le dernier rapport de l’inspecteur général de la NASA.
En parallèle, une station spatiale, la Gateway, sera assemblée en orbite autour de la Lune à partir de la fin 2024. Beaucoup plus petite que la station spatiale internationale (ISS), elle s’appuiera sur un partenariat similaire entre agences spatiales américaine, européenne, japonaise et canadienne, mais cette fois sans la Russie. À terme, au moins trois astronautes européens devraient ainsi séjourner à bord de cette station en orbite lunaire dont l’un des modules est d’ailleurs déjà en construction en France.
La Gateway constitue l’une des grandes différences entre les programmes Artemis et Apollo. En offrant un point de transit et un lieu d’expérimentation entre la Terre et la Lune, elle est présentée comme un ingrédient de la pérennisation du retour sur la Lune. Car la NASA a bien compris qu’il y avait un enjeu fort à aller au-delà d’un retour symbolique et ponctuel sur la Lune, la course ayant déjà été remportée il y a plus de cinquante ans. Comme le soulignait l’astrophysicien américain John Horack en 2019, les motivations du retour sur la Lune sont aujourd’hui moins géopolitiques qu’économiques. Les accords Artemis, que la France vient de rejoindre, prévoient par exemple explicitement la possibilité d’extraire des ressources de la Lune, bien que la viabilité des modèles économiques associés soit encore loin d’être démontrée.
L’agence spatiale américaine encourage aussi la création d’un écosystème commercial autour de la Lune. Dans le cadre du programme Commercial Lunar Payload Services (CLPS), les acteurs privés sont ainsi financés pour construire des vaisseaux capables de se poser sur la Lune et y déposer des instruments ou des robots pouvant eux aussi être développés par des sociétés privées. Les atterrisseurs lunaires des sociétés Intuitive Machines et Astrobotic Technology seront les premiers à tenter la manœuvre, en principe d’ici la fin de l’année 2022.
Avec la même logique, le HLS qui déposera les astronautes sur la Lune a lui aussi été sous-traité à un partenaire privé, SpaceX. La société d’Elon Musk ne se contente d’ailleurs pas d’être un prestataire de services et développe en parallèle ses propres projets. Elle a par exemple annoncé avoir vendu un billet au milliardaire japonais Yusaku Maezawa pour un vol touristique en orbite autour de la Lune, plus simple et moins cher qu’un alunissage. Annoncé à l’origine pour l’année prochaine, il est peu probable que les délais soient tenus étant donné les récentes déconvenues que rencontre SpaceX dans le développement de son nouveau lanceur Starship.
S’installer dans la durée, tel est aussi l’enjeu pour les deux seules autres puissances spatiales à avoir réussi un alunissage : la Russie et la Chine. Si la Russie est un acteur historique de la course à la Lune, comme les États-Unis, la Chine a fait un rattrapage remarqué en posant pour la première fois un atterrisseur sur la face cachée de la Lune en 2019, et en réalisant avec succès un retour de roches lunaires sur Terre en 2020.
La Chine et la Russie ont annoncé en 2021 vouloir s’associer pour construire une station orbitale, l’International Lunar Research Station (ILRS), prévue pour le début des années 2030. D’ici là, plusieurs missions robotiques sont prévues, notamment Chang’e 6 côté chinois et Luna 25 côté russe. Le nom de cette dernière mission, prévue pour cet automne, s’inscrit dans la continuité du programme soviétique Luna, dont Luna 24 était depuis 1976 la dernière représentante. D’autres pays, l’Inde, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis et le Japon, prévoient également des missions à destination de la Lune dans les prochains mois.
À plus long terme, l’idée derrière le programme Artemis est de réutiliser les développements réalisés pour un premier voyage vers la planète Mars à l’horizon 2040. Il faut pourtant rappeler que les défis que pose un voyage habité vers Mars sont sans commune mesure avec ceux du programme Artemis qui, malgré un coût pour la NASA approchant les 100 milliards de dollars, est encore loin de permettre une installation pérenne sur la Lune. Faire de notre satellite une destination en soi, voilà donc le défi que les acteurs du spatial devront relever bien avant d’espérer atteindre la planète rouge.
Dimitri Chuard, Astrophysicien, chargé de recherches prospectives, Mines ParisTech