Santé : la biosurveillance des principaux produits chimiques se met en place en Europe

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Santé : la biosurveillance des principaux produits chimiques se met en place en Europe

Christophe Rousselle, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Les enquêtes récentes le montrent : 90 % des Européens s’inquiètent de l’impact des produits chimiques sur l’environnement, et 84 % sur leur santé. Les préoccupations relatives à ce sujet occupent également une place de plus en plus importante dans le discours public…

Pour autant, la production mondiale de produits chimiques devrait doubler d’ici à 2030, ce qui reflète l’augmentation rapide de leur utilisation dans presque tous les secteurs économiques.

De fait, des substances chimiques peuvent être utilisées dans la fabrication de médicaments vétérinaires, produits phytopharmaceutiques, biocides, conservateurs, additifs… Elles font alors l’objet d’une évaluation des risques potentiels pour le consommateur avant mise sur le marché.

D’autres, présentes cette fois dans l’environnement, peuvent également avoir un impact : elles peuvent être d’origine naturelle (micro-organismes, champignons produisant des toxines, métaux présents dans les sols, etc.) ou résulter d’une pollution (polychlorobiphényles ou PCB, chlordécone, métaux…).

On parle de « produit chimique » quand plusieurs substances sont mélangées en vue de donner des propriétés particulières au produit résultant : produit cosmétique, peinture, nettoyant ménager, etc.

Une exposition croissante

Nous sommes ainsi de plus en plus exposés à des substances chimiques à travers notre environnement : l’air que nous respirons, l’eau et les aliments que nous ingérons, les articles que nous manipulons, les produits que nous nous appliquons sur la peau… Tous contribuent, plus ou moins intensément, à augmenter notre niveau d’imprégnation interne.

C’est ce niveau interne d’exposition qui conditionne les effets que les substances dangereuses peuvent avoir sur notre santé. D’où l’importance d’avoir les outils pour suivre leur présence autour de nous – outils qui manquaient à l’échelle européenne jusqu’à présent. L’Anses vient d’apporter son expertise à un vaste projet européen pour y remédier. Voici comment.

La biosurveillance vise précisément à mesurer la charge en contaminants chimiques que notre organisme peut supporter. Mais quels niveaux de concentration (ou imprégnation) de substances chimiques, de leurs produits de dégradation ou de polluants présents dans l’environnement pouvons-nous tolérer ?

Une évaluation via le dosage de biomarqueurs lors de prélèvements sanguins, d’urine, de cheveux ou encore de lait maternel permet d’estimer notre exposition interne aux substances chimiques et autres polluants (métaux, etc.) La biosurveillance permet également de prendre en compte les différences physiologiques entre individus (respiration, métabolisme, âge…) ainsi que les facteurs associés au comportement et aux activités (hygiène de vie, usage de produits de consommation…)

Un réseau de laboratoires qualifiés

L’initiative européenne HBM4EU, qui vient de se terminer après cinq années et demie de recherche, avait pour ambition de faire de la biosurveillance un outil incontournable pour déterminer l’exposition de la population aux produits chimiques et évaluer les risques pour la santé dans l’Union européenne. L’un des enjeux de ce programme d’envergure était de constituer un réseau de laboratoires performants et d’harmoniser les méthodes analytiques comme la conception des enquêtes et en assurer la qualité. Un défi que nous exposons ici, et un atout pour demain.

Au cours des dernières décennies, la biosurveillance humaine a été utilisée comme outil dans divers projets de recherche et programmes nationaux, générant ainsi une vaste quantité de données en Europe. Cependant, l’information obtenue était fragmentée et pas toujours comparable.

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En effet, les récents progrès techniques et méthodologiques ont permis de multiplier le nombre de substances chimiques analysables… Aucune méthode de référence standard n’avait toutefois été instaurée : contrairement à d’autres domaines, par exemple la sécurité chimique des aliments, il n’existe actuellement aucune structure de référence européenne pour la biosurveillance. Plusieurs pays européens ont bien mis en place des programmes nationaux dans ce domaine, mais isolément, ce qui limite la possibilité de comparaison des résultats.

Le nouveau réseau européen de 166 laboratoires issu de 28 États membres mis en place dans le cadre de HBM4EU peut remplir ce manque. Parmi eux, 74 laboratoires sont déjà qualifiés en termes de qualité et de comparabilité et plus de 43 000 analyses ont ensuite été réalisées par 34 d’entre eux.

Quelles substances sélectionner ?

Pour des raisons liées à des contraintes d’échantillonnage et d’analyse, il était nécessaire d’identifier les substances à inclure dans ce programme. Au cours des 5 ans et demi de HBM4EU, trois cycles de priorisation ont eu lieu, qui ont permis d’identifier une liste de substances ou de familles de substances – et de préciser comment mieux gérer l’exposition humaine au niveau national et européen.

Cette priorisation a été faite selon trois groupes de critères :

  • Les dangers de la substance (ou du groupe) : préoccupations en termes de toxicité (cancérogène, perturbateur endocrinien…) ou le manque de connaissances associées à certains types d’effets (à long terme par exemple). Lorsqu’il s’agissait de groupes complexes de substances, tels les pesticides, cette évaluation pouvait s’appuyer sur les données disponibles pour certains « chefs de file » de toute une famille de composés.

  • L’exposition à la substance (ou au groupe) : niveau d’exposition au regard des tonnages produits ou des concentrations déjà mesurées chez l’Homme ou dans l’environnement. Des critères de persistance ou d’accumulation peuvent aider à les anticiper.

  • Les préoccupations sociétales : problématiques soulevées par les parties prenantes.

Différents scores ont été attribués à ces critères, de manière à pouvoir classer et afficher un ordre de priorité aux substances (ou groupes de substances), et voir en quoi les résultats générés dans le cadre du programme pourraient être utilisés pour améliorer la gestion et, le cas échéant, réduire l’exposition.

En parallèle, les substances ont été catégorisées selon le niveau de connaissance déjà disponible de manière à pouvoir rapidement répondre aux questions qu’elles posent.

Par exemple, les substances rangées dans la catégorie A (Hexabromocyclododecane) sont déjà largement connues, tant du point de vue exposition que toxicité ; les inclure dans un programme tel que HBM4EU permet de suivre leur évolution dans le temps et de voir si les mesures de gestions mises en œuvre sont efficaces.

À l’inverse, les substances classées en catégorie D (2,3,5,6-tetrabromo-p-xylene, etc.) voire E (Melamine polyphosphate, etc.) ne bénéficient que de connaissances limitées, les méthodes pour les mesurer sont même parfois en cours de développement : avant de les inclure dans une enquête de biosurveillance, il convient donc d’y suppléer. Ces substances font donc l’objet d’une attention particulière.

L’ensemble de la démarche de priorisation a fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique et les substances prioritaires retenues ont fait l’objet d’un suivi régulier au sein du projet. Des documents de synthèse sur les principales familles (phtalates, pesticides, HAP, PFAS, mycotoxines…) ont été rédigés et publiés sur le site de HBM4EU.

24 pays ont déjà uni leurs forces pour collecter des données à l’échelle européenne, qui reflètent l’exposition interne de la population à certaines substances chimiques prioritaires. Ces analyses ont été menées au sein du réseau de laboratoires précédemment évoqué. Des questionnaires, des procédures opérationnelles normalisées et du matériel de communication ont été mis à disposition pour assurer l’harmonisation des capacités d’analyses : une première !

Les études menées se sont concentrées sur trois groupes d’âge : enfants, adolescents et adultes. Les participants ont été recrutés entre 2014 et 2021 dans onze à douze pays répartis dans quatre régions. Ces études ne sont pas représentatives de leur pays mais incluent un ratio femmes/hommes de 50:50 et des habitants des zones urbaines, semi-urbaines et rurales. Elles serviront de base pour suivre l’exposition interne aux produits chimiques et les progrès qui auront été faits pour les réduire.

Les principaux composés mesurés sont les suivants :

Cohortes par tranches d’âge pour les études de biosurveillance en Europe
Groupes d’âge suivis et produits chimiques recherchés lors des études au niveau européen. HBM4EU, Author provided

Bien interpréter les résultats à venir

Les valeurs qui définissent un seuil d’exposition en dessous duquel il n’y a a priori pas de risque pour la santé sont, à l’heure actuelle, presque toutes définies par des concentrations externes – dans l’alimentation ou l’air. Pour savoir si les concentrations mesurées dans le sang ou les urines les dépassent, il a fallu définir des valeurs guide adaptées.

Leur élaboration s’est appuyée sur l’expérience acquise par la Commission allemande (German HBM Commission HBM-I values) pour la population générale et l’Anses pour les milieux professionnels (Valeurs limites biologiques/VLB, ou Biological limit values/BLVs).

Plusieurs étapes furent nécessaires :

  • Savoir quoi mesurer. Parfois, le produit d’origine peut être difficile à doser dans un échantillon de sang ou d’urine et il vaut mieux rechercher les composés issus de sa dégradation dans l’organisme. C’est le cas du dimethylformamide (DMF), un solvant utilisé dans l’industrie, pour lequel les molécules issues de sa dégradation offrent une meilleure corrélation entre concentration urinaire et effet sur la santé.

  • Choisir le mode de dérivation de la valeur. Il y a plusieurs options selon le niveau de connaissance disponible sur la substance et les valeurs réglementaires déjà en place. Ainsi, si le corpus de données scientifiques est suffisant pour quantifier avec certitude une relation dose/réponse chez l’Homme, les valeurs guides internes seront construites sur la base de données sanitaires. En deuxième intention, si des valeurs de référence externes (voie orale, etc.) ont déjà été proposées par des agences européennes (EFSA, ECHA…), elles pourront être utilisées comme point de départ. Si aucune donnée n’est disponible chez l’Homme, une revue des données animales pourra permettre de choisir un point de départ (par exemple, dose externe n’entraînant pas d’effet chez l’animal après exposition répétée).

  • Ajustements aux scénarios d’exposition à l’aide d’outils de modélisation, afin de s’adapter aux besoins spécifiques de la population générale ou des travailleurs. Des facteurs de sécurité sont ensuite appliqués pour tenir compte des différences de sensibilité entre l’animal et l’Homme, entre différentes populations (enfants, femmes enceintes…)

Des valeurs ont pu être établies pour une quinzaine de substances, pour la population générale et/ou pour les travailleurs.

C’est le cas pour le bisphénol S, en population générale et professionnelle : 1 µg par litre d’urine dans la population générale et 3 µg par litre pour les travailleurs. Ces deux valeurs sont distinctes car les personnes en contact avec le bisphénol par leur travail sont exposées par la peau en plus de l’alimentation (en continu), et selon des scénarios différents. La valeur est, ici, calculée sur leur temps de travail.

Pour d’autres substances, les travaux sont allés au-delà de la simple détermination d’une valeur guide. Par exemple, ils ont estimé le nombre de personnes en France, en Espagne et en Belgique qui avaient un risque d’ostéoporose du fait d’une exposition élevée au cadmium.

Focus sur la santé des travailleurs

Une partie du projet HBM4EU a été consacrée à la santé au travail et à une meilleure évaluation des risques pour les professionnels.

Les expositions spécifiques à des secteurs d’activités, comme le traitement des déchets électroniques ont été investiguées : par exemple à certaines substances cancérogènes (aniline, chrome VI…), sensibilisantes (di-isocyanates), etc. Ce qui contribuera à mesurer l’efficacité de mesures de gestion déjà existantes ou à en proposer de nouvelles.

HBM4EU a ainsi permis le développement de nouveaux outils (enquêtes, sciences participatives, analyse de données, etc.) pour recueillir les données nécessaires. Sur la base de ces travaux, des recommandations pourront être faites pour réduire les expositions les plus à risque.

Des modèles établissant un lien entre les expositions externe et interne ont également été développés. Les intérêts sont multiples, tels aider à l’identification des principales sources de contamination pour proposer des valeurs seuil afin de garantir la sécurité des travailleurs. Ces résultats pourront aussi appuyer de nouvelles Valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP).

Les concentrations internes permettent ainsi de mieux appréhender l’exposition réelle aux produits, car elles prennent en compte toutes les sources d’exposition, via l’air, l’alimentation, l’eau, le contact cutané, etc.

L’Anses a proposé des valeurs guides internes spécifiques pour les travailleurs, notamment pour le cadmium, le N-dimethylformamide (DMF), certains phtalates (DEHP, DnBP, DiBP…), le BPS ou N,N-dimethylacetamide (DMAC).

Des données pour l’avenir

En cinq ans et demi, HBM4EU a permis de renforcer le réseau d’organismes européens impliqués dans la biosurveillance et/ou l’évaluation des risques des substances chimiques.

Les données générées, les outils développés et les procédures harmonisées seront autant d’atouts qui serviront à la mise en œuvre du projet PARC (Partnership for the Assessment of Risks from Chemicals), qui a pour ambition de promouvoir une nouvelle approche d’évaluation des risques pour les substances chimiques en vue de protéger la santé et l’environnement.

Ce partenariat coordonné au niveau européen par l’Anses fournira aux évaluateurs et gestionnaires des risques liés à l’exposition des populations humaines aux substances chimiques, de nouvelles données et méthodes ainsi que de nouveaux outils. Il renforcera les réseaux d’acteurs spécialisés dans les différents domaines scientifiques contribuant à l’évaluation des risques.

Il contribuera au développement des compétences scientifiques nécessaires pour relever les défis actuels et futurs en matière de sécurité des substances chimiques. Le partenariat a pour vocation de faciliter la transition vers une nouvelle génération de démarche d’évaluation des risques, plus holistique et intégrant la santé humaine et l’environnement.


D’une durée de 7 ans, le projet PARC (Partnership for the Assessment of Risks from Chemicals) a démarré le 1er mai 2022. Le budget prévisionnel est de 400 millions d’euros, dont la moitié sera prise en charge par la Commission européenne et l’autre moitié par les États membres partenaires. L’Anses est le coordinateur du partenariat dans sa globalité.The Conversation

Christophe Rousselle, European Project Manager, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)