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Judith Mueller est médecin épidémiologiste, professeur à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et chercheur à l’Institut Pasteur. Elle revient sur l’intérêt de la quatrième dose (second rappel), 18 mois après le lancement de la vaccination contre le Covid-19 et à la suite de la septième vague de l’épidémie avec les variants Omicron BA.4 et BA.5, et fait le point sur l’efficacité des vaccins actuels contre les variants Omicron.
Les vaccins utilisés actuellement ont été conçus à partir de la souche initiale du SARS-CoV-2 qui a émergé à Wuhan. À l’heure actuelle, que sait-on de leur efficacité contre les variants Omicron ?
Judith Mueller : Des recherches immunologiques ont montré que les variants Omicron, et notamment BA.4 et BA.5, échappent davantage aux anticorps neutralisants et même, un peu, à l’immunité liée aux lymphocytes T, développés suite à la vaccination. Un phénomène identique s’observe pour les anticorps acquis suite une infection.
C’est un mécanisme naturel normal : les virus évoluent en fonction des anticorps qu’ils rencontrent, et plus spécifiquement des anticorps donnés protégeant contre cette infection. L’évolution génétique chez ces virus sélectionne des structures moins bien reconnues par les anticorps, avec pour conséquence de maintenir la capacité d’infection dans une population immunisée – c’est l’échappement immunitaire.
Par contre, il n’est pas « utile » pour un virus comme le SARS-CoV-2 d’être plus dangereux. Cela correspond à l’observation que, pour l’instant, les variants successifs n’ont pas vraiment diminué la protection contre le risque de forme sévère de Covid-19 que procure la vaccination.
La question est donc plutôt celle-ci : pourrait-on, dans l’avenir, du fait de ces adaptations génétiques, voir émerger un variant contre lequel la vaccination ne protégeait plus ou peu des formes sévères ? Ce serait plutôt un hasard malheureux – on ne peut pas l’exclure, mais c’est peu probable.
Il ne faut donc pas confondre protection contre les formes sévères de Covid-19 et protection contre l’infection…
J.M. : Effectivement, ce sont deux choses différentes et cela peut être source de confusion. La protection contre l’infection (souvent appelé « infection symptomatique » dans les études) diminue assez rapidement après la vaccination face aux variants Omicron : elle est inférieure à 30 % (<30 % des épisodes sont évités) au-delà de trois mois.
Par contre, la protection contre l’hospitalisation ou décès en cas d’infection bouge très peu avec le temps et les variants. Il en résulte que la protection globale contre les formes sévères (qui inclut la protection contre l’infection) reste bonne face aux variants Omicron et ne diminue que légèrement depuis la vaccination.
Les seules exceptions sont les personnes de grand âge et celles touchées par un affaiblissement de leur système immunitaire : leur protection vaccinale diminue plus rapidement car ils développent moins d’anticorps après leur vaccination. Ce ne sont pas des cas si rares dans notre société : disposition génétique, maladie chronique ou traitement en cours contre un cancer entraînent une telle insuffisance immunitaire.
Pourquoi parle-t-on de l’importance des doses de rappel ?
J.M. : Il faut avoir conscience que cette protection globale contre les formes sévères – que je qualifie de bonne contre Omicron et dans le temps – est loin d’être parfaite, puisqu’elle se situe aux alentours de 60 à 70 % après le schéma initial (sans rappel). Autrement dit, 6 cas sur 10 de Covid-19 avec complications peuvent être évités par la vaccination. Mais les 4 autres épisodes surviendront néanmoins. Cela peut faire beaucoup de monde au même temps dans les hôpitaux, dès qu’il y a à nouveau une hausse des infections.
Après une dose de rappel, cette protection augmente à environ 80 %. Cette protection complémentaire est d’autant plus intéressante qu’on est âgé (à partir de 50 ans) et qu’on est exposé à un risque élevé d’infection (comme pendant une vague épidémique).
On considère aujourd’hui que le rappel fait partie du schéma complet de vaccination pour obtenir une bonne protection contre les formes sévères. Le même raisonnement s’applique aussi aux personnes pas encore vaccinées qui ont été infectées – une dose de vaccin complète la protection immunitaire, la rend plus durable et plus solide contre les variants.
Il y a eu des discussions pour savoir s’il fallait diminuer l’âge pour ce second rappel. Pourquoi ?
J.M. : Une deuxième dose de rappel permet d’augmenter encore la protection contre une forme sévère. C’est intéressant notamment pour les personnes plus âgées, chez qui le risque de complications est plus élevé. Il n’y a pas de seuil précis – c’est pourquoi la recommandation de la quatrième dose est actuellement peu homogène entre les pays.
Un rappel supplémentaire permet aussi de fortement diminuer son risque d’être infecté (et d’infecter d’autres) pour environ trois mois. Pour les personnes de grand âge ou immunodéprimées, cela veut dire optimiser leur protection. Pour les adultes plus jeunes vivant ou travaillant à côté de personnes vulnérables, cela permet de sécuriser les contacts pour une certaine période.
Une campagne plus large de quatrième dose serait – c’est mon avis personnel – à réserver pour une situation exceptionnelle : une vague épidémique avec un variant plus dangereux, face à laquelle il faudrait absolument et rapidement réduire la transmission pour éviter le pire.
Qui est concerné aujourd’hui par cette quatrième dose, ou deuxième rappel ?
J.M. : Selon le nouvel avis de la HAS, elle est recommandée à partir de 60 ans et pour les personnes immunodéprimées. La recommandation couvre maintenant également les adolescents et adultes de moins de 60 ans avec facteur de risque pour une forme sévère (diabète, obésité…), y compris les femmes enceintes dès le premier trimestre de grossesse.
La quatrième dose est aussi recommandée pour les personnes dans l’entourage de personnes vulnérables.
Comme expliqué précédemment, l’idée est ici de fermer « la fenêtre » de risque en étant au-delà des 80 % de protection.
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Dans ce contexte, fin juin l’Agence européenne du médicament (EMA) a autorisé un vaccin supplémentaire, celui du laboratoire français Valneva. Quel est l’intérêt de ce vaccin supplémentaire, qui porte à six le nombre de vaccins disponibles dans l’Hexagone ?
J.M. : Ce vaccin est basé sur une technologie similaire à celle utilisée pour produire la plupart des vaccins contre la grippe saisonnière. Cela pourrait éventuellement convaincre des gens qui seraient encore réticents à utiliser la technologie des vaccins à ARN messager.
Il est pour l’instant autorisé chez les adultes âgés de 18 à 50 ans seulement, car il n’a pas encore été évalué chez les personnes plus âgées. Étant donné sa technologie et les données présentées par l’EMA, ce vaccin devrait apporter une protection substantielle. Son efficacité devrait être probablement aussi bonne que celle du vaccin Vaxzevria (d’Astra Zeneca) ou des vaccins à ARNm.
Reste à évaluer à quel niveau ce vaccin protège contre les variants Omicron, car les essais cliniques ont été menés sur la souche Wuhan. Et bien sûr, il faudra observer de près la durée de protection contre l’infection et les formes sévères.
Les données de pharmacovigilance vont aussi être scrutées attentivement, car il s’agit d’un vaccin récent pour lequel nous n’avons pas encore d’informations à très grande échelle, contrairement aux précédents vaccins (ARNm, vecteur viral) qui ont été administrés à des millions de personnes depuis 18 mois.
À ce propos, il n’y a pas eu de nouveaux effets secondaires identifiés concernant les vaccins à ARN ?
J.M. : Non, rien d’essentiellement nouveau depuis l’été dernier. Ce qui n’est pas étonnant, car le nombre de doses administrées et la durée d’observation étaient déjà très importants l’an dernier à la même époque.
Le risque de myocardite chez les personnes jeunes dans la semaine après vaccination a été observé depuis avec plus de précision – ces myo – ou péricardites évoluent habituellement sans complication ou séquelles. Surtout, on sait maintenant que c’est le Covid-19 qui augmente le risque de myocardites et de péricardites.
Il reste quelques interrogations concernant les troubles menstruels signalés par un bon nombre de femmes après la vaccination. Pour conclure sur un effet de la vaccination, il faut bien sûr comparer la fréquence de ces perturbations chez les femmes vaccinées à celle des femmes pas (encore) vaccinées, par exemple lors d’un essai clinique ou dans une étude épidémiologique après utilisation à large échelle.
Selon l’EMA, le données disponibles permettent d’écarter un lien entre la vaccination et l’absence de règles, mais des données sont encore attendues pour un éventuel lien avec des saignements plus abondants.
Si elles sont passagères, les irrégularités de règles impactent la qualité de vie mais ne représentent pas un problème de santé ou de fécondité. Je trouve toutefois intéressant qu’avec la vaccination contre le Covid-19, cette qualité de vie reçoive l’attention des autorités de santé. Elle sera peut-être davantage prise en compte et évaluée lors des essais cliniques.
Judith Mueller, Professor in epidemiology, École des hautes études en santé publique (EHESP)