Images de science : ce que le télescope James-Webb nous apprend sur les collisions de galaxies

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Images de science : ce que le télescope James-Webb nous apprend sur les collisions de galaxies

La collision de plusieurs galaxies observées par le télescope James-Webb. Image obtenue en combinant les données de deux instruments différents. NASA, ESA, CSA et STScI
Pierre-Alain Duc, Université de Strasbourg

Voici une des premières images du télescope James-Webb, révélée le 12 juillet 2022. Elle représente cinq galaxies dont le regroupement s’appelle « quintette de Stephan ».

Les premières images des nouveaux télescopes doivent répondre à la curiosité légitime du public et à la fringale des chercheurs qui les attendent depuis de nombreuses années… et ainsi être à la fois sensationnelles et scientifiquement instructives.

Parmi les cibles privilégiées figurent donc les collisions galactiques. Lorsque des galaxies se rencontrent, les forces de marée les déchirent et façonnent de spectaculaires queues. Les processus induits – chocs, formation d’étoiles et d’amas, accrétion et éjection de gaz autour de noyaux actifs – intéressent tout particulièrement les astrophysiciens.

Or le « quintette de Stephan » que l’on voit sur cette image offre non pas un, mais cinq exemples de galaxies en collision ! Ce système exceptionnel avait déjà alimenté le florilège du télescope spatial Hubble et le calendrier du télescope terrestre Canada-France-Hawaii.

Le quintette de Stephan photographié par Hubble. NASA, ESA and the Hubble SM4 ERO Team

L’image prise par le James-Webb est le résultat d’une combinaison complexe de différentes images monochromatiques, obtenues avec deux instruments du télescope spatial, NIRCam et MIRI. Les images individuelles dévoilent des facettes différentes des galaxies : étoiles jeunes ou vieilles, gaz ionisé ou moléculaire. L’image combinée illustre avec de fausses couleurs la distribution spatiale de chaque composante.

En quoi cette image prise avec le James-Webb diffère de celle, iconique, obtenue avec Hubble ? Tout d’abord, alors que Hubble observait dans l’ultraviolet et le domaine visible, celle-ci a été prise dans l’infrarouge, ou plutôt « les » infrarouges.

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La spécialité du James-Webb : observer dans l’infrarouge

L’infrarouge dit « proche », jusqu’à une longueur d’onde de quelques micromètres, ouvre une fenêtre sur les étoiles vieilles comme notre Soleil qui sont les plus nombreuses dans les galaxies, mais pas les plus lumineuses, du moins dans le visible où elles sont éblouies par les étoiles plus jeunes. Sur notre image, la couleur jaune pâle divulgue la carte de masse des populations stellaires des halos galactiques ainsi que des queues de marée.

Par ailleurs, l’infrarouge proche est relativement peu sensible à l’extinction de la lumière par les grains de poussière et permet donc de dévoiler la présence d’étoiles là où ils se concentrent, par exemple dans les pouponnières stellaires. Ainsi les bandes sombres dues à la poussière, très présentes sur l’image de Hubble, disparaissent avec les yeux du James-Webb.

Au delà de 5 micromètres et de la plage d’investigation de l’instrument NIRCam, on entre dans les plates-bandes de MIRI et le domaine de l’infrarouge « moyen », qui s’étend jusqu’à 30 micromètres. Les sources d’émission dans l’infrarouge « moyen » sont multiples et l’interprétation de cette lumière complexe… comme le sont les phénomènes présents dans le quintette de Stéphan.

Par exemple, dans le quintette, les nuages de gaz ont été percutés par l’une des galaxies du groupe arrivée à grande vitesse. Cette poussière a été chauffée par les chocs et rayonne (elle le ferait aussi en chauffant lors de flambées de formation d’étoiles par exemple), ce qui explique les stries de couleur rouge très visibles entre les galaxies.

D’autres filaments semblent s’échapper de la galaxie située en en haut de l’image. Ils témoignent, eux, d’un regain d’activité important généré par les collisions au cœur de la galaxie, là où se tapit un trou noir ultra-massif.

Une meilleure résolution

Mais si le télescope James-Webb prend le dessus sur Hubble, c’est surtout par son gain en résolution.

Comme tout télescope spatial qui s’affranchit de la turbulence atmosphérique, Hubble brillait déjà par la finesse de ses images. Le James Webb excelle grâce à la grande taille de son miroir. Avec lui, des zones d’émission diffuses se divisent en de multiples amas stellaires.

C’est pour cela que la lumière de l’une des galaxies du Quintette, NGC 7320 (à gauche sur l’image) a une texture pointillée différente de celle des autres : elle est résolue en étoiles individuelles. Pourtant, même observée avec l’acuité exceptionnelle du télescope James-Webb, à la distance du quintette, la lumière devrait être diffuse.

En fait, NGC 7320 est située à l’avant plan et n’appartient donc pas au groupe… mais le quintette n’est pas pour autant un quartet ! En effet, l’image obtenue avec le télescope Canada-France-Hawaii avait révélé la présence d’une cinquième galaxie, située en dehors du champ de vue du James-Webb.

On connaissait depuis longtemps cet effet de projection, mais il est illustré sur cette image de manière remarquable. Le James-Webb ne se contente donc pas de fournir des images spectaculaires pour le public et des données précieuses pour les scientifiques : il a aussi des vertus pédagogiques.The Conversation

Pierre-Alain Duc, Directeur de recherche au CNRS, directeur de l'Observatoire astronomique de Strasbourg, Université de Strasbourg